1.1.2.
La création du
St Empire Romain Germanique

 1.2.
1806-1813
Confédération du Rhin

 2.
1848-1898
Les années Elisabeth

C) Film de Gabriel Pascal (1938)

Pygmalion est un film britannique de 1938 avec en tête d'affiche Leslie Howard et Wendy Hiller. Le film a été un succès financier et critique et a remporté un Oscar du meilleur scénario (George Bernard Shaw, Cecil Lewis, Ian Dalrymple et W.P. Lipscomb) et trois autres nominations: le meilleur film, le meilleur acteur (Howard) et la meilleure actrice (Hiller). La réaction de Shaw n'a pas été tendre, et reconnaissons-le, un peu prétentieuse envers les Américains: «C'est une insulte que de me proposer une distinction honorifique comme s'ils n'avaient jamais entendu parler de moi auparavant - et il est très probable que c'est le cas.Ils pourraient aussi envoyer une récompense à George pour être le roi d’Angleterre».

Quelle est la genèse de ce film? Ici non plus, rien n'est simple.

Le producteur hongrois Gabriel Pascal souhaitait créer un ensemble de films basés sur les œuvres de Shaw, en commençant par Pygmalion, et il a décidé de rencontrer le maître en personne pour obtenir son autorisation. Comme nous l'avons vu, Shaw hésitait à autoriser une adaptation cinématographique de Pygmalion en raison de la qualité médiocre des précédentes adaptations de ses œuvres. Mais Gabriel Pascal réussit à le convaincre en autorisant que Shaw conserve une supervision personnelle constante de l'adaptation. Il ne se limitera pas à Pygmalion et adaptera aussi Major Barbara, César et Cléopâtre et Androclès et le lion.

Essayons de comprendre pourquoi Shaw a accepté de faire confiance à cet homme si différent de lui...

C.1) Un producteur: Gabriel Pascal

Gabriel Pascal est né à Arad (alors en Autriche-Hongrie, actuellement en Roumanie) le 4 juin 1894 et est décédé à New York le 6 juillet 1954, 2 ans avant la création du musical My Fair Lady... Nous y reviendrons, car son décès a permis la naissance du musical! Il est fondamental de comprendre la personnalité du gaillard et, pour ce faire, nous nous sommes plongés dans sa biographie: The Disciple and His Devil.

Jeune homme sans ressource ni formation, Gabriel Pascal s'est trouvé un travail de gardien de chevaux en Hongrie. Dans cette fonction, il conduisait chaque jour les animaux à travers la forêt jusqu'à un ruisseau. Petite particularité: il avait pris l’habitude de monter nu dans la campagne hongroise! C'est ainsi qu'un jour, il s'est accidentellement retrouvé en tenue d’Adam dans le décor extérieur d'un film muet en production; une «découverte». Le réalisateur du film lui a demandé de rejouer la scène pour les caméras et il a été engagé comme acteur dans le film. Sa carrière était née. Quelque temps plus tard, c’est lui qui tournait ses propres films. Joli signe du destin, non?

Gabriel Pascal tourne alors deux films muets allemands en 1922. Il enchaîne avec des films en Italie et en France. Mais sa carrière ne décolle pas vraiment. C'est alors qu'arrive un second signe du destin... au milieu des années '20, à Antibes.

Durant l’été de 1925, Gabriel Pascal était au Cap d’Antibes sur la Riviera française. Il s’est levé un matin à l’aube pour se baigner nu dans la mer. Alors qu’il barbotait dans les eaux claires de la Méditerranée, il a rencontré un autre nageur nu, à la grande barbe blanche, George Bernard Shaw. Après s’être présenté l’un à l’autre dans cette situation peu courante, Pascal a dit à Shaw qu’il était réalisateur de cinéma et, très intelligemment, a démontré à Shaw combien il connaissait et appréciait son œuvre. Il lui a aussi avoué son rêve de les adapter à l’écran. Rappelons que nous sommes encore à l’époque du muet, ce qui n’encourageait pas Shaw à donner son accord, lui qui était un enthousiaste des mots…

À la fin de la baignade, Shaw dit à Gabriel Pascal que si ce dernier se trouvait un jour dans de graves difficultés financières – ce que Shaw estimait comme fortement probable – il pouvait venir frapper à sa porte. Comme beaucoup d’histoires de Pascal, on ne sait pas si elle est totalement vraie, mais Shaw ne l’a jamais démentie. Quoi qu'il en soit, les deux hommes ne devaient plus se voir pendant près de dix ans...

En 1931 et 1932, Gabriel Pascal produit deux films allemands. En 1934, lors d'un voyage à Hollywood, la princesse Norina Matchabelli contacte Pascal au sujet d'un projet de film basé sur les enseignements de Meher Baba, un maître spirituel indien.

Pascal s’intéresse beaucoup à cet homme et à sa spiritualité. Il décide de tout quitter et de partir pour l'Inde. Mais dès son arrivée, le projet de film semble nettement moins urgent que prévu. Meher Baba invite Pascal à l'accompagner dans ses voyages en Inde, pour découvrir la réalité des choses. La plupart des hommes auraient été découragés, mais Pascal s'est lancé avec enthousiasme dans la vie austère de cet ascète oriental, allant même jusqu'à se vêtir d'un costume indien. Il a véritablement découvert cet homme étrange et entretiendra une correspondance avec lui pour le reste de sa vie. Admiration réciproque, car Meher Baba a surnommé Pascal son «Phoenix». Quoi qu'il en soit, Pascal est ruiné. Son désir de cinéma revient...

Sans le sou, mais plein de courage, il embarque comme passager clandestin dans un bateau, de l'Inde vers l’Amérique. Il débarque à San Francisco où il hésite sur la voie à prendre. Puis il s’est rappelé la promesse de Shaw dans les eaux d'Antibes, près de dix ans auparavant: «Si un jour, tu es sans le sou, viens.»

Il décide d’aller chez Shaw, qui habite à Ayot St Lawrence à une heure de route au nord de Londres. Pascal fait San Francisco New York, en train, caché dans les toilettes, puis persuade un capitaine de marine de l’emmener gratuitement en Angleterre. Pascal prend alors un taxi pour le minuscule village de Ayot St Lawrence. Quand la voiture s’arrête devant la maison de Shaw, Gabriel demande au chauffeur de l’attendre le temps qu’il sonne à la porte. Le grand écrivain ouvre sa porte et se retrouve face à Gabriel Pascal, au charme intact. «Vous êtes donc riche à présent?» s’exclama Bernard Shaw. «Plus un centime, Sir! D’ailleurs, pourriez-vous régler ma course au taxi qui est en train de poireauter devant votre maison?»

Shaw était séduit par Gabriel, tant par son talent que par son naturel: un vrai bol d’air pur comparé à tous ces producteurs qui l’approchaient en gonflant leurs carrières et leurs situations financières dans l’espoir de lui en mettre plein la vue.

À la fin de l’après-midi, Gabriel Pascal détenait les droits d’adaptation de presque toutes les pièces de Shaw, dont Pygmalion.

C.2) Shaw et Pascal travaillent ensemble...

La seule condition que Shaw a posée pour que son œuvre puisse être adaptée au cinéma par Gabriel Pascal est de conserver une supervision personnelle constante de l'adaptation. Condition qui sera - presque - respectée. Quoi qu'il en soit, Shaw a l'enthousiasme d'un enfant, en replongeant près de 25 ans plus tard, dans l'une de ses œuvres majeures.

Ensemble, ils vont modifier beaucoup de choses. Shaw ajoute des scènes, fait des adaptations. Par exemple:

  Les cours d'élocution d'Eliza  

Dans la pièce de Shaw, à aucun moment on n'assiste aux cours d'élocution que Higgins donne à Eliza. Elles apparaissent dans le film de 1938.

Et avec elles les célèbres paroles «The Rain in Spain» qui ne proviennent pas du Pygmalion de Shaw, mais bien du film de Gabriel Pascal. Et même, selon The Disciple and His Devil, c'est Gabriel Pascal qui a proposé les fameux exercices phonétiques «The rain in Spain stays mainly in the plain» et «In Hertford, Hereford, and Hampshire, hurricanes hardly ever happen» dans le scénario du film. On retrouvera ces exercices ensuite dans My Fair Lady.

  Le test final d'Eliza: le bal  

Dans la pièce originale de Shaw, le test d'Eliza, une réception en plein air chez l’ambassadeur, n’apparaît pas sur scène et est raconté au début de l’acte IV. Dans le film, par contre, Shaw et ses co-scénaristes ont choisi de transformer cet examen en un bal chez l’ambassadeur et cette scène apparaît vraiment dans le film. On voit réellement le personnage Nepomuck, le maître chanteur dont il est fait mention dans la pièce, mais son nom a été changé pour Aristid Karpathy (ainsi nommé par Pascal, qui était d'origine hongroise comme il a également veillé à ce que Karpathy confonde Eliza avec une princesse hongroise). Dans My Fair Lady, ce personnage deviendra Zoltan Karpathy.

  Le retour d'Eliza à Covent Garden  

Une autre scène apparaît dans le film et est fondamentale en ce sens qu'elle donne une lecture définitive à la transformation d'Eliza. Dans le film - et donc dans My Fair Lady - l'Eliza devenue lady décide de retourner à Covent Garden pour rencontrer ses anciens compagnons de mendicité, là où elle vendait des fleurs six mois auparavant. À sa plus grande surprise, personne ne la reconnaît. Elle est vraiment devenue une lady: elle peut briller au bal de l'ambassadeur dans la haute société, mais elle découvre qu'elle est désormais considérée de la même manière par le monde du peuple dont elle est issue. Grâce à cette scène, une question essentielle éclate dans la plus grande simplicité: «Qui suis-je vraiment devenue aujourd'hui?» Et son corollaire: «Qui serai-je demain?»

Shaw a participé à toutes ces adaptations de sa pièce. Il en gardera de nombreuses dans la nouvelle version de sa pièce, publiée en 1941. Mais un «gag» va encore survenir…

  La fin de la pièce... Encore et toujours!  

Comme nous le savons par le Sequel qu'il a publié en 1916 et dont nous avons déjà abondamment parlé, Shaw est attaché à la manière dont sa pièce s’achève. Dans son esprit, Eliza se marie avec Freddy... Et certainement pas avec Higgins. Et c'est là que Gabriel Pascal va être rusé... ou fourbe suivant la manière dont on analyse la chose.

Gabriel Pascal a délibérément fait tourner une fin romantique, avec plusieurs rebondissements: Eliza part d'abord avec Freddy. Les choses paraissent claires. Higgins part lui de son côté vers son bureau, où il décide d'écouter les vieux enregistrements de la voix d'Eliza. Et là... Eliza entre dans son bureau. Les choses sont claires, même si elles restent officiellement très ouvertes. Mais pas un spectateur du film ne peut douter du fait qu'il va se passer quelque chose entre eux. Et c'est aussi ici qu’apparaît la fameuse réplique finale énigmatique, qui sera aussi celle de My Fair Lady: «Où sont mes pantoufles, Eliza?»

Pourquoi avons-nous parlé de fourberie. Parce que Shaw a découvert cette fin en live à la première officielle du film. Gabriel Pascal était persuadé qu'il la refuserait. Mais Shaw n’a rien osé dire vu le triomphe dans la salle...

Mais au stade où nous en sommes et malgré le succès du film, Shaw refuse toujours toute adaptation en comédie musicale de son œuvre.

Par conséquent, il va falloir attendre. Longtemps. Jusqu'au 2 novembre 1950, le jour où George Bernard Shaw a poussé son dernier soupir à l'âge de 94 ans.

Ce jour-là, tout redevint possible...